Une musique d’aéroport annonce le début de la session. Au tiers remplie à 14h, la salle est sous un chapiteau de plastique qui résonne à chaque coup de vent. La chairwoman Deborah Greaves [1] de l’Université de Plymouth prend la parole pour expliquer le déroulé de la session : de courtes présentations de 10 min qui s’enchaîneront avant une discussion collective finale. Elle sera également co-autrice de 2 des publications scientifiques présentées dans la session.
La première intervenante, Ewa Spiesz[2], représente un ensemble de coauteur.e.s venu du Brésil, du Costa Rica, de Belgique, d’Australie, du Kenya, de Chine, du Portugal, d’Australie, des Etats-Unis et du Royaume-Uni.
La plupart, dont Ewa, n’appartiennent pas à des laboratoires de recherche scientifique mais à des « agences » d’énergies marines comme le Dutch Marine Energy Center (DMEC), le ANEEL (Brazilian Electricity Regulatory Agency), le Global Wind Energy Council, le WIO Marine Limited ou encore le WavEC – offshore Renewables.
Ewa affirme que « le développement des énergies renouvelables en mer est reconnu scientifiquement et mondialement comme un élément essentiel de la solution à la crise climatique », elle parle « de croissance économique ». Elle expose ensuite sa vision en mobilisant quelques chiffres : « La surface des océans occupée par les énergies renouvelables en mer sera multipliée par 10 en 2050 par rapport à 2024, tandis que les progrès technologiques permettront de multiplier par 40 le rendement énergétique en s’éloignant du rivage ». C’est la première occurrence d’un impératif promotionnel que je retrouverai à bien des moments au cours de mes observations : « Il faut donc diffuser une vision positive des énergies renouvelables ». C’est ainsi qu’elle propose un résumé de « bonnes pratiques », à commencer par celle « d’allier les secteurs économiques, environnementaux et sociaux » tous ensemble, avec une visée « de durabilité » et de « croissance économique ». La compatibilité entre « environnement » et « croissance » est ici présentée comme logique et naturelle – mettant à jour, d’emblée, les soubassements implicites du paradigme émergent de « l’économie bleue ». Elle affirme par la suite une double nécessité : celle « d’inclusion sociale et d’équité » (sans en dire quoi que ce soit de plus), et celle de « développer l’éolien en mer dans « les pays en développement ». Pour conclure, Ewa propose aux participant·es de considérer que le problème majeur de l’éolien en mer est donc le partage de l’espace, avec les autres industries notamment – l’aquaculture, l’extraction de minéraux et la production d’hydrogène –, comme le répéteront de nombreux intervenant.e.s par la suite : « l’espace est limitant », regrette-t-elle.
L’intervention suivante, celle de Brigitte Vlaswinkel, commence de fait sur ces mêmes prémisses : « Le problème de l’océan est que son espace est limité ». Brigitte prend la parole au nom d’un consortium européen rassemblant, une nouvelle fois, des acteurs non universitaires comme Oceans of Energy des Pays-Bas , le WavEC – offshore Renewables Portuguais (précédemment cité), Aquatera Ltd et European Marine Board.
C’est ensuite avec une grande fierté (buste bombée, large sourire) que Brigitte Vlaswinkel expose le projet BAMBOO financé par l’Union européenne[3]. Elle nous présente ce projet comme un projet intelligent car « à grande échelle et donc à bas coût », sans s’étendre sur aucun de ces qualitatifs. Il s’annonce comme relevant « d’une innovation technologique » prenant en compte le cycle de vie environnemental des matériaux (sur lesquels aucune information ne sera donnée) et permettant enfin de « prendre au sérieux » le solaire comme énergie en mer.
Du fait de la récurrence de ces ellipses, c’est sur la modalité du récit magique que seront ensuite contées les mérites de la ferme solaire à « très » grande échelle. Flottant sur mer, il n’y a pas de structure ancrée au sol[4] permettant de s’installer dans des environnements à grande houle. L’image du « nénuphar flottant sur l’eau » nous est proposée comme analogie structurelle pour cette technologie, dont le matériel est « simple » et « facile d’entretien » (en sous-texte, je crois le comprendre, comparé aux immenses éoliennes d’une lourdeur matérielle et demandant un fort entretien).
Peu après, la promotion de l’« hybridation vent et solaire » est qualifiée « d’intelligente » avant d’appuyer son opérationnalité après quatre années de tests en continu en Mer du Nord néerlandaise. Une mer aux conditions météorologiques « rudes » (harsh), rappelle l’intervenante.
Puis, la question de son impact sur la biodiversité est abordée : « Il n’y a aucune inquiétude à avoir », car la proposition d’hybridation permet « une grande durabilité avec un très faible impact ». Plus précisément, l’ombre causée par les panneaux solaires et la captation en amont des rayons du soleil allant en mer, « n’a aucun impact sur la production primaire ». Les panneaux ne produisent « ni changement de températures, ni turbidité ». Et de plus, la mégafaune comme les mouettes viennent se reposer sur la structure solaire. Ce qui permet ainsi à l’intervenante de conclure qu’il n’y a pas de coûts, pas de compromis Biodiversité/Éolien avec les panneaux solaires et qu’ils peuvent être considérés comme des « Nature design elements ». De plus, l’hybridation solaire/éolien serait « une première mondiale », appréciation qui procure à l’intervenante une satisfaction évidente et non feinte.
C’est cet exposé qui recueillera le plus de questions lors de la discussion finale, teintées d’une certaine admiration pour la plupart, mais aussi, parfois, critiques. Par exemple, cette intervention d’une écologue de l’université de Brest interrogeant le fait que les oiseaux marins soient aussi les premières victimes de collisions dans les pales des éoliennes : les reposoirs panneaux solaires vantés ne seraient-ils pas alors un leurre (« trap ») ? Brigitte Vlaswinkel, visiblement peu au courant de la bibliographie sur le sujet[5], répondra que les oiseaux sont très intelligents et qu’ils savent éviter les éoliennes.
C’est sur le même ton que le consortium suivant (Chine-UK) aborde la question des éoliennes. L’hybridation des technologies repose cette fois-ci sur la combinaison entre des éoliennes en mer et des structures basées sur l’énergie des vagues.
Tianyuan Wang, l’intervenant de l’Université de Plymouth et de l’Ocean University of China de Qingdao, propose de considérer une nouvelle fois le « manque d’espace océanique » comme une « limite au développement industriel ». L’intérêt majeur de l’hybridation des énergies est annoncé comme provenant d’un « partage des coûts de développement très onéreux », mais aussi d’une complémentarité de ces deux sources – vent/vagues – face au « périodes creuses » et d’une « augmentation de stabilité des structures par cette combinaison ». Seront ensuite présentées des modélisations mathématiques de simulations numériques pour concevoir l’existence de structures hybrides, annoncées par Tianyuan Wang comme un challenge en conditions météorologiques extrêmes.
S’en suit rapidement une présentation du formalisme mathématique des modèles multiphysiques et plus précisément d’un couplage « aéro-hydro-élastique-servo-moteur[6] » (sic). De multiples stratégies sont proposées pour améliorer la résistance dudit système au vent et aux vagues : « Un modèle d’optimisation multi-objet et multi-paramétrique est introduit pour identifier la configuration optimale du système à l’aide d’algorithmes globaux, locaux et combinés », explique l’intervenant rappelant ainsi la haute technicité mathématique et informatique des modélisations complexes empêchant aux non spécialistes de comprendre de quoi il relève et encore moins d’étayer un quelconque regard critique sur les propositions présentées.
Cet intervenant se démarque ainsi des deux précédentes communications comme maîtrisant la conceptualisation mathématique et l’ingénierie technique à la base du développement des technologies à énergies dites renouvelables. Avant de conclure sur le compromis à trouver entre « la stabilité et la puissance du système », et sur l’importance de cette recherche « pour atteindre les objectifs de consommation zéro carbone ».
Ainsi à mi-parcours de la session éolienne en mer du colloque scientifique, il semblerait que les discours techno-solutionnistes vantant une croissance économique continue pour les décennies à venir fassent l’adhésion des intervenant.es – avec une approbation de la salle ou du moins une réception qui ne semble pas s’étonner voire s’offusquer des propos tenus. Les impacts sur la biodiversité bien que parfois mentionnés sont jusqu’à présent minimisés ou éludés, et la question socio-territoriale (tout comme ses modalités de mise en place) en termes de planification en mer ne sont visiblement pas une interrogation au sein de cette communauté. Celle-ci n’aura même pas été étudiée ni mentionnée, si ce n’est via le grand détour « du développement d’une pensée positive au sujet des éoliennes ».
[1] Deborah Greaves est professeure d’ingénierie océanique et directrice de l’École d’ingénierie, d’informatique et de mathématiques de l’Université de Plymouth. En 2020, elle a été élue membre de la Royal Academy of Engineering. Greaves est présidente du conseil d’administration du Partenariat pour la recherche sur les énergies marines renouvelables (PRIMaRE)et dirige le pôle Supergen ORE. Elle siège au conseil consultatif du Carbon Trust. Elle est membre de la Women’s Engineering Society et de l’Institution of Civil Engineers, et est également conseillère experte auprès des Nations Unies. Elle a été nominée pour le prix de recherche de la campagne WISE en 2014.
[2] National Committee Member for the Kingdom of the Netherlands for the United Nations Decade of Ocean Science. Statement of the comettee here: https://wereldoceaandagen.nl/de-oceaan/national-ocean-decade-committee/
[3] Il est financé par le dispositif « Horizon Europe, Topic : Floating PV Systems, Call: HORIZON-CL5-2023-D3-01-03 pour une durée de 3 ans (2024-2026) avec un budget de 7 millions d’euros, sous la coordination de RINA Consulting, Italy & Oceans of Energy, The Netherlands.
[4] Ce qui est pourtant l’un des arguments premiers de Biodiversité positive dans la promotion de l’éolien en mer.
[5] A titre indicatif quelques références sur le sujet : Carrete, M., et al. (2009), Large scale risk-assessment of wind-farms on population viability of a globally endangered long-lived raptor, Biol. Conserv. Everaert, J. (2014) Collision risk and micro-avoidance rates of birds with wind turbines in Flanders, Bird Study, 61:2, 220-230, Fox A. D. and Petersen I.B (2019), Offshore wind farms and their effects on birds, Dansk Orn. Foren. Tidsskr, 113: 86-101.Minderman J, Pendlebury CJ, Pearce-Higgins JW, Park KJ (2012) Experimental Evidence for the Effect of Small Wind Turbine Proximity and Operation on Bird and Bat Activity. PLoS ONE 7(7): e41177. Pearce-Higgins J., Stephen L, Langston R.H.W, Bainbridge I.P. and Bullman R. (2009) The distribution of breeding birds around upland wind farm, Journal of Applied Ecology, 46, 1323–1331. Ruiz-Gutierrez V, Bjerre ER, Otto MC, et al. (2021) A pathway for citizen science data to inform policy: A case study using eBird data for defining low-risk collision areas for wind energy development. J Appl Ecol.00:1-8. Schaub T.,. Klaassen R. H.G Bouten W., Schlaich A.E. Koks B. J. (2020) Collision risk of Montagu’s Harriers Circus pygargus with wind turbines derived from high-resolution GPS tracking, Ibis, 162, 520–534
[6] L’objet de l’analyse est un système hybride éolien offshore & houlomotrice composé d’une éolienne de référence IEA-15-MW (RWT), d’une plateforme semi-submersible UMaine-VolturnUS-S et de trois convertisseurs d’énergie houlomotrice « toroïdaux de type lourd installés sur les colonnes latérales de la plateforme
Share