Les navires de l’UNOC : les tolérés, les exclus et les absents

Des navires apparaissent dans des schémas ludiques pendant une présentation des méthodes de renforcement de la captation carbone par le déversement de substances alcaline. De nouveaux navires, difficilement identifiables, qui pourraient intégrer la flotte de navire actuelle.

Pendant les deux semaines du Sommet International des Nations Unies pour l’Océan, l’UNOC 3, la figure du bateau est convoquée en de nombreux lieux. A la Baleine un grand nombre d’interventions évoquent des « récits d’aventure » ou des « récits du large » et convoquent des expériences dites « transformatrices ». Des visuels sont projetés dans les différents espaces, sur les pavillons de la Baleine mais aussi pendant des présentations de scientifiques à l’OOSC (navires faisant l’usage d’outils de propulsion décarbonés, dans des embarcations créées pour des activités d’ingénierie océaniques, embarcations de pêcheur.euses sur la côte Ouest de l’Afrique…) et dans des annonces du programme officiel de l’UNOC, des plénières et des Ocean Action Panel. Au port de Nice, le quai du commerce a été mobilisé spécialement pour accueillir et exposer une vingtaine de navires scientifiques, associatifs, militaires et d’expérimentation, en provenance de la Mer du Nord, de Bretagne, de la côte ouest africaine ou encore de Méditerranée. Cette flotte ainsi exposée, est loin de représenter le panel des moyens à la mer[1] existants. En effet, les navires présentés constituent une toute petite partie de ceux qui se trouvent actuellement en mer : où sont les bateaux de pêche ? De transport de passagers ? De transports de marchandises ? De ravitaillement des plateformes pétrolières ? Les yachts ? Les navires de croisière ? De construction des éoliennes offshore ? [2] Des navires dont un certain nombre sont d’ailleurs armé par la CMA CGM, principal financeur de l’organisation de l’UNOC à Nice. Des navires vitrines restreignant l’univers marin à une représentation positive de l’être en mer, construite autour de l’aventure, de l’exploration, de la science et de la découverte alors qu’il est historiquement, et encore aujourd’hui, destructeur sur bien d’autres aspects (les navires de transport d’esclaves, les navires de transports de migrants, les navires de pêche illégale …).

Parmi cette flotte, les navires d’associations de protection et de défense de l’océan occupent une place importante. L’embarquement comme mode d’engagement n’est pas nouveau : il constitue des pratiques militantes historiques, comme à bord du Rainbow Warrior de Greenpeace ou des navires de Sea Shepherd. Parmi les bateaux-engagés présents, la plupart sont des voiliers et se présentent comme des plateformes scientifiques (Tara), des embarcations de sciences citoyennes (Expédition Med), des moyens à la mer de déployer des instruments d’exploration (Odysseus 3.1) ou encore des espaces pour fédérer l’action bénévole (Wings of the ocean). La mise en scène d’un engagement étroitement lié à la pratique d’un embarquement  m’a semblé intéressante à observer et à questionner dans un environnement tel que l’UNOC 3 où cette dimension performative est aussi bien valorisée qu’ultra maîtrisée.

Pour certains navires, leur déplacement jusqu’à Nice a été accompagné d’une préparation en amont. La Fondation Tara a mobilisé son navire, le Tara, pendant trois mois pour une expédition de la Bretagne à la Méditerranée en passant par le Royaume-Uni. Ainsi, sur son site internet, une rubrique « mission UNOC » est consacrée au parcours du navire indiquant les étapes dans des ports, pour des événements parfois publics, parfois non. Au mois d’avril à Brest, une journée sur les Aires Marines Protégées a été organisée en partenariat avec la Plateforme Océan et Climat, l’Office Français de la Biodiversité et Océanopolis avec des interventions de scientifiques de l’Institut Universitaire Européen de la Mer et de l’IFREMER et le chargé de campagne Océan et Pétrole de Greenpeace. Ensuite, le navire a rejoint Lorient – le port d’attache du voilier – avec à son bord des activistes français comme François Chartier, Anne-Sophie Roux et Henri Decoeur. Après un séjour à Etel pour participer à une rencontre organisée par un député du Morbihan, Jimmy Pahun, le voilier a été convoyé jusqu’en Méditerranée, où il séjournera dans un premier temps à Marseille pour une campagne de réduction de la pollution plastique puis à Porquerolles où le voilier sera notamment mobilisé pour transporter des passagers à la Fondation Carmignac. Ensuite, le parcours indique un déplacement jusqu’à Monaco pendant la tenue du Blue Economy and Finance Forum, les 6 et 7 juin, avant de trouver une place à Nice pour la semaine de l’UNOC3, du 9 au 13 juin.

Au cours d’un embarquement longeant la côte, un navire de surveillance s’est rapproché et a sommé le capitaine du bateau de respecter la zone d’exclusion à la navigation.

Mobilisés sur différents plans, certains bateaux accostés au port font l’objet de visites pour le grand public pendant les premiers jours de la semaine précédant l’UNOC avant que le quai devienne inaccessible au public dès le 8 juin et l’accès aux navires limité par des invitations. Les ponts des bateaux se transforment en espaces de rencontres où défilent des invités de marque et les marins se voient attribués des fonctions de Steward[3]. Ces mises en scène protocolaires et fastueuses se démultiplient au cours de l’événement : le 6 juin, la veille du Blue Economy and Finance Forum qui se déroulait en petit comité à Monaco, le voilier Malizia Explorer a été baptisé au Yacht Club de Monaco par le Dr Sylvia Earle et le Prince Albert II de Monaco. Quelques jours plus tard, pour la parade « Merveilles de l’océan », Fabien Cousteau, aquanaute, explorateur et descendant du commandant Cousteau, et de Vladimir Jares, le directeur de la division des affaires et du droit de la mer, embarquent à bord de Tara et hissent symboliquement le drapeau World Oceans Days. Au cours d’une de mes visites impromptues à bord du Blue Panda, nous sommes invitées à adopter un comportement « comme si de rien n’était » et les marins à « faire une jolie table » pendant la visite informelle d’Olivier Poivre d’Arvor. Des sorties en mer ont également été organisées à destination de scientifiques pour découvrir la science à la voile sur le Malizia Explorer ou pour des donateurs comme sur le Blue Panda de l’ONG WWF.

La présence de yacht dans la Baie de Villefranche fait partie du paysage quotidien. Les navires de croisières font par contre l’objet de fortes protestations au sein d’associations locales.

La restriction d’accès au port concerne également les arrivées par la mer, avec la création d’une zone d’exclusion à la navigation de plusieurs miles autour de Nice, à laquelle s’ajoute une rotation restrictive des bateaux entre ceux qui sont invités à séjourner au port dans une durée limitée, ceux qui sont tenus à l’écart et ceux qui en sont exclus. Ainsi, l’association Expédition Med, invitée les trois premiers jours[4] de la semaine précédant l’UNOC, du 2 au 4 juin, a dû libérer la place pour que le port puisse accueillir notamment le Persévérance[5], le Art Explora[6] ou encore le Tara[7] à leur retour du Blue Economy and Finance Forum. D’autres ont été mis volontairement à l’écart, comme les marins pêcheurs de Nice déplacés à Saint-Jean Cap Ferrat ou l’Artic Sunrise de Greenpeace dont l’accès a été refusé au dernier moment par la préfecture. D’autres encore ont été tenus à l’écart comme le John Paul DeJoria, le navire de la Captain Paul Watson Foundation qui a séjourné dans la Baie de Villefranche.

Pendant l’UNOC, le port de Nice devient une vitrine de navires engagés que l’on pourrait qualifier de « tolérés » face aux « exclus ». Cette mise en scène, façonnée par le cadre fastueux de la Côte d’Azur, la dimension internationale et onusienne de l’événement, l’organisation d’une parade, mais aussi les enjeux stratégiques et les alliances qui s’y jouent probablement, place la performance au premier plan. Dans cette situation, le discours critique et politique de ces associations se retrouve complètement invisibilisé et restreint à leur collaboration scientifique.

[1] Expression dans le milieu maritime pour désigner les moyens de mise à l’eau (embarcations, instruments de plongées…)

[2] En juillet 2024, la flotte de commerce sous pavillon français compte 435 navires, parmi lesquels 25 pétroliers, 24 transporteurs de gaz liquéfiés, 30 porte-conteneurs, 11 rouliers, 25 cargos, 2 vraquiers, 16 paquebots navires de croisière, 51 transbordeur roulier passager, 16 navires à passagers, et 2 autres navires de charges : file:///C:/Users/AN_GJ/Downloads/rapport_statistique_flotte-commerce_juillet_2024.pdf

[3] Nom donné aux hôtes et hôtesses à bord des bateaux

[4] Le déplacement des bateaux comprend un apport financier pouvant être lourd pour des associations de cette taille. Considéré comme central dans leur agenda de l’année, et invité sans soutien financier de la part du comité organisateur, leur venue a pu être maintenue grâce à une réponse collective d’une dizaine d’associations de bateaux d’expédition à un appel à projet de la Fondation de France a permis à certains de couvrir les frais de déplacement de leur bateau, comme pour Expédition Med de son port d’attache en Italie, et donc la rémunération de l’équipage en charge du convoyage aller et retour

[5] Le Perséverance est un navire de ravitaillement de la plateforme océanographique polaire, le Polar Pod, projet conçu par l’explorateur Jean-Louis Etienne. La station n’ayant pas encore vu le jour, le voilier propos des voyages d’écotourisme : https://www.polarpod.fr/fr/perseverance

[6] Financé par la Fondation Art Explora du mécène, Frédérique Jousset, à la tête de la société Webhelp un centre d’appel à assistance humaine financé par la publicité, le catamaran accueille des expositions à son bord.

[7] Le voilier Tara appartient à la Fondation Tara, financé par la marque de stylisme Agnès B, porteuse de mission d’exploration scientifique

Anne-Gaëlle Beurier

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