Des jeunesses sur le front de mer. Manifestes de la jeunesse à l’UNOC et réceptions politiques sous forme de célébration de l’engagement

Malgré une mise en scène de l’inclusion des jeunes dans les arènes de négociations internationales, leur rôle demeure souvent périphérique dans les processus décisionnels des négociations internationales, y compris dans les espaces des « COP élargies ». À l’UNOC, leurs interventions prennent place dans le cadre de side-events, parfois en zone bleue, auto-organisés ou portés par des réseaux de mobilité jeunesse. De nombreux événements sont organisés à l’UNOC3 pour mettre en avant la jeunesse, avec en point d’orgue la journée du jeudi 12, consacrée à la jeunesse, marquée par une « prise de la Baleine », session de trois heures dans l’auditorium principal du Palais des Expositions, pendant laquelle s’enchaîne prises de paroles de jeunes et présentation de dispositifs qui leur sont dédiés (comme les aires marines éducatives).

Nous rendons compte ici de trois formes de participation, majoritairement francophones et s’inscrivant dans une série de moments s’étant tenus pendant toute la durée du Sommet :

  • La Coalition of Emerging Ocean Leaders (CEOL)
  • Les jeunes engagées pour l’océan : programme des Petits Débrouillards et de l’Ifremer
  • Le manifeste de la « Génération PPR ‘Océan & Climat’, auquel nous avons contribué

D’autres délégations jeunesse étaient présentes à Nice. Nommons notamment les ECOP, les ‘ePOPers’ de l’IRD-RFI, les Citizens of the Ocean – programme de l’aquarium Nausicaa (Boulogne-sur-Mer, France), l’Office franco-québecois de la jeunesse, les jeunes reporters de la fondation Mohammed VI pour la protection de l’environnement, etc.

Se revendiquer ‘leader émergent’ sur les questions océaniques et demander un siège à la table des négociations : ‘‘We want to have our seat: it is our main goal. And we want to change the world.(Membre du CEOL)

Dans une salle de La Baleine, à l’étage, le lundi 9 juin à midi, a lieu l’évènement : ‘Launch of CEOL – Coalition of Emerging Ocean Leaders: a manifesto for ocean sustainability’. L’évènement rassemble en fait deux coalitions de jeunes : celles du CEOL, coalition de réseaux de jeunesse nouvellement créée, et des représentants de l’initiative ‘Citoyens de l’océan’ (présentée dans la section suivante). Le CEOL est un réseau de réseaux de jeunes engagés dans la protection de l’environnement, en particulier autour des COPs. Au cours de l’UNOC, ces réseaux se sont coordonnés pour organiser de nombreux évènements. La revendication principale de cette coalition est d’avoir un siège dans les négociations, c’est-à-dire une voix dans la « zone bleue ». Ces organisations de personnes qui se nomment des ‘leaders émergents’ sont tournées vers les arènes internationales de négociations, sont pour certaines reconnues institutionnellement et travaillent en continu au travers de groupes de travail sur un plaidoyer. Cela leur permet de disposer d’accréditations auprès de l’ONU et d’avoir un statut d’observateur à ces évènements. Les side-events organisés par le CEOL reflètent cette focalisation sur les cadres internationaux de la gouvernance environnementale et climatique. Par exemple, jeudi 12 juin, est organisé un autre side-event dans la zone verte sur le thème : ‘Youth in international negotiations’. La session se déroule en anglais et un des négociateurs français du Nice Ocean Action Plan pour le ministère de l’Europe et des affaires étrangères est invité à témoigner et expliquer le processus devant mener à la déclaration politique de Nice le lendemain. Puis, différentes représentantes de réseaux de jeunesse internationaux discutent de la sous-représentation de la jeunesse, malgré la reconnaissance formelle du droit à être représenté, et regrettent le manque de reconnaissance institutionnelle du statut de partie prenante. Plusieurs mentionnent avoir suivi d’autres COPs et travailler sur ce sujet depuis de nombreuses années. Il semble qu’il y ait une forme de semi-professionnalisation de ces jeunes, acculturés au cadre de la gouvernance internationale, et tous à l’aise en anglais. Lors de l’évènement de lancement du CEOL, une représentante de l’Ocean Project indique ainsi que la coalition nouvellement créée aura pour but de rendre plus facile l’organisation de side-events « at this kind of parties where everyone wants to go ».

Clara Gervaise-Volaire

i Présentation lors d’un side-event du CEOL, La Baleine, le 12 juin 2025

Tournées vers la demande réitérée de prendre part aux négociations, ces initiatives de « jeunesse » portent en elle l’idée qu’elles représentent une jeunesse légitime à s’exprimer en tant que futur « leader ».

Des manifestes avec des revendications argumentées

La représentation de la jeunesse prend une seconde forme : celle d’initiatives pilotées et initiées par des organisations diverses – comme un institut de recherche ou un aquarium, sous la forme de convention de jeunes. Des évènements organisés à l’UNOC 3 visent à diffuser les propositions issues de ces conventions. Le manifeste des ‘Citoyens de l’Océan’ est remis officiellement le 12 juin, au moment de la prise de la Baleine par une dizaine de jeunes ayant participé à sa rédaction, a la ministre Agnès Pannier-Runacher[1]. Nausicaá, l’aquarium de Boulogne-sur-Mer, a accompagné ces jeunes depuis l’automne 2024 et soutenu la création de cette coalition dite des 200 jeunes pour l’Océan. Celui des ‘Jeunes engagées pour l’océan’ est diffusé sous la forme d’une exposition et également remis à des représentants du gouvernement. De la même façon, il a été co-construit sur plusieurs semaines, notamment à l’occasion de trois journées à Nice, organisées par l’Ifremer et Les Petits Débrouillards. Les porteurs de cette initiative mettent en avant leur souhait d’avoir voulu faire se rencontrer des jeunes engagé·e·s issus de divers horizons, pour qu’ils se forment et aboutissent à des propositions concrètes. De fait, les propositions présentées sont précises, et prennent principalement la forme de demandes, par exemple sur la nécessité d’avoir une définition internationale des aires marines protégées, témoignant d’un travail approfondi de plaidoyer en amont.

Clara Gervaise-Volaire
Clara Gervaise-Volaire

ii Deux exemples de manifestes écrits par des jeunes, comprenant des propositions sur la gouvernance de l’océan : manifeste de Jeunes engagés pour l’Océan et de la Coalition des Jeunes pour l’Océan, distribués le 12 juin 2025

Clara Gervaise-Volaire

iii  Trois des quinze propositions, présentées sous forme d’affiches dans le cadre de ‘Cette exposition doit faire des vagues’, reprenant les thèmes des panels de l’UNOC[2].

Représenter, défendre et étudier un Programme Prioritaire de Recherche national au Sommet Onusien

Enfin, plusieurs membres du projet ODIPE bénéficient d’un financement du Programme Prioritaire de Recherche (PPR) ‘Océan & Climat’[3], co-piloté par le CNRS et l’Ifremer. Le manifeste, qui fait 2 pages à la suggestion de la direction du PPR, a été rédigé depuis janvier 2025 et validé par la direction scientifique de celui-ci. Le 12 juin, à l’occasion de la journée de la Jeunesse, l’Ifremer organise plusieurs évènements à bord du Thalassa, navire de la Flotte océanographique opéré par l’Ifremer. A cette occasion, la direction du PPR a proposé aux doctorantes rédacteur·ice·s du manifeste de présenter leur manifeste lors d’un temps officiel, en présence des PDG de l’Ifremer, de l’IRD et des Petits Débrouillards. Après une visite à bord du Thalassa avec les autres délégations, pour découvrir la vie à bord ainsi que des outils de médiation développés par Les Petits Débrouillards avec l’Ifremer, l’évènement officiel a lieu sur le pont du navire. La prise de parole des 3 doctorant.es représentantes doit durer trois minutes, et suit celles des manifestes Nausicaa, Jeunes engagés pour l’océan et des ePOP. En même temps, une ‘mise en lumière institutionnelle’ du manifeste est prévue sur les sites de l’IFREMER et du CNRS, ainsi que sur le média en ligne Océans connectés. Dans le processus même d’écriture, le groupe est invité à ne pas porter d’accusation frontale, mais adopte tout de même un ton assez radical, interrogeant le rôle de la production de connaissances scientifiques et affirmant que « l’enjeu principal pour affronter les crises environnementales n’est plus seulement un manque de connaissances scientifiques, mais surtout l’invisibilisation, si ce n’est le déni de ces savoirs » et concluant ainsi : « Un programme prioritaire de recherche n’a de sens que si les décisionnaires aussi sont prêt·e·s à en relever les défis. Nous sommes prêt·e·s à les accompagner : il est temps de changer de cap. ». Une version tronquée du manifeste est lue lors de l’évènement, sur un ton plus sobre et grave que les interventions précédentes.

Réceptions politiques : célébrer l’engagement, éluder les revendications

Comme l’autrice de ce billet a pu le constater dans le cadre d’un programme destiné à promouvoir la participation de la jeunesse à l’UNOC, dont elle a bénéficié, la « jeunesse engagée » est une catégorie hétérogène, regroupant des jeunes (moins de 30 ou 35 ans selon les initiatives) développant des start-ups de géo-ingénierie marine, bénévoles dans des associations de lutte contre le plastique, ou encore doctorant·e·s en biologie marine. On peut également s’interroger sur les biais de représentativité socio-économiques que recouvre l’invocation de « la jeunesse ». Il est établi en effet que la jeunesse mobilisée dans ces instances internationales, du fait des contraintes matérielles à leur participation, provient majoritairement de réseaux universitaires.

L’invocation de la jeunesse comme « génération future » est constante dans les prises de parole des responsables politiques et diplomates participant à ces événements, de même que l’affirmation selon laquelle la jeunesse a sa place dans ces instances.  Jonathan Delance, représentant de la République dominicaine à l’ONU, ouvrant la session de lancement du CEOL, exprime sa curiosité pour ce que les young leaders font pour l’océan. Il indique que ces initiatives sont davantage « about the future we can build together as citizens of this Earth, and as this generation is going to bring the most change to this world. »

Lorsque le délégué interministériel à la jeunesse français, Thibaut de Saint Pol, rencontre les délégations de jeunes, il se réjouit du fait qu’elles permettent de motiver l’engagement d’autres jeunes et d’ouvrir leurs horizons. Il se montre particulièrement enthousiaste vis-à-vis d’une session d’échange entre une délégation de jeunes et des « tout-petits » (classe de CP), les félicitant d’être un modèle qui montre qu’il est possible d’agir auprès de ce très jeune public. Il insiste sur les retombées en termes de réseau professionnel créé et d’opportunités de nouveaux marchés pour les entrepreneurs participant à ces initiatives. Lors d’un événement sur le Thalassa, il indique que sa mission est de « répondre à ce besoin d’engagement des jeunes » ainsi qu’à « l’éco-anxiété largement répandue chez les jeunes ».

Si les « jeunes » sont appelé·e·s à participer à l’UNOC3, on a pu observer que c’est souvent dans un rôle de légitimation des discours établis sur leur propre engagement, plutôt que dans un véritable espace de co-construction politique. Les propositions concrètes issues des conventions de jeunes et les prises de parole des jeunes chercheur·euses ne sont pas commentées. Les jeunes sont mobilisé·e·s comme symboles d’espoir, et non comme acteur·rice·s co-décideur·euse·s. La fonction rhétorique de ces tribunes de jeunes semble de fait une figure imposée, et sa portée critique facilement évacuée.

[1] https://www.nausicaa.fr/fr/le-mag-ocean/prise-de-la-baleine-par-la-jeunesse

[2] L’ensemble des propositions est disponible ici :  https://www.ifremer.fr/sites/default/files/2025-06/cp_les_15_mesures_des_jeo_13062025.pdf

[3] Un PPR, ou Programme Prioritaire de Recherche, est un dispositif mis en place par l’État français pour structurer, renforcer et coordonner la recherche sur des enjeux stratégiques majeurs. Annoncé par Emmanuel Macron lors des Assises de l’Economie de la Mer à Montpellier en 2019, le PPR ‘Océan & Climat » a été lancé en juin 2021 et court jusqu’en 2027, avec un budget 40 M€ alloués sur 6 ans. Site internet du programme : https://www.ocean-climat.fr/Le-PPR. Outre de vastes projets de recherche, le PPR finance également des bourses doctorales et post-doctorales.

Ifremer

Share

© ODIPE Research Project | All rights reserved | 2025