En cette semaine du One Ocean Science Congress, organisé en amont de l’UNOC-3 à Nice, les quais du Port Lympia arborent un nouveau visage. Des tentes et structures modulaires y ont été installées pour accueillir les participant·es aux différents événements, tandis que l’accès est désormais régulé par des dispositifs de sécurité, et les rues avoisinantes quadrillées par les forces de l’ordre. Sur le quai des Docks, les yachts habituels sont remplacés par des navires ayant fait le déplacement pour l’événement. En face, le quai des Deux-Emmanuels conserve en partie ses fidèles : les petites embarcations colorées de pêche niçoises restent attachées à leurs amarres. Pas très loin, leurs voisins viennent de loin et attirent l’attention : le voilier de l’Expédition « 7ème continent », l’imposant trois mats norvégien Statsraad Lehkuh, puis le navire océanographique sous pavillon angolais : le RV Baía Farta.
Ce navire est mis en service pour renforcer les capacités de recherche marine de l’Angola, de gestion des ressources halieutiques et, à terme, de cartographie des fonds marins à des fins d’explorations des ressources sous-marines. Il s’inscrit dans la stratégie nationale de réappropriation des infrastructures de collectes de données sur les pêcheries et d’une volonté de l’Angola de se positionner sur la scène maritime internationale.
Être présent et visible à l’UNOC-3 constitue un enjeu stratégique pour l’Angola, à l’instar de nombreux pays désireux de se positionner dans l’arène de la diplomatie océanique. Cette ambition se manifeste à travers la présence, à quai, du RV Baía Farta, vitrine technologique de l’océanographie nationale, mais aussi par l’engagement du pays en tant que partenaire financeur de la « Green Zone », un espace d’exposition immersive et gratuite baptisé La Baleine, organisé en marge du sommet diplomatique.
Une équipe de scientifiques angolais accueille les visiteurs de différentes nationalités venus visiter l’imposante structure. Le navire océanographique RV Baía Farta a fait le déplacement spécialement pour l’évènement de l’UNOC-3. Il a fallu 25 jours de voyage à l’équipage pour rejoindre les côtes niçoises. Le biologiste en charge de la visite présente différentes composantes du bateau ouvertes ce jour au public : la salle de contrôle scientifique et ses ordinateurs, la salle des serveurs, les laboratoires, et la plateforme de travail sur le pont arrière – espace ouvert destiné à la mise à l’eau des instruments et le traitement. Nous n’avons pas accès aux cabines ni au point supérieur – l’espace sera ouvert demain.
Le RV Baia Farta devrait à terme opérer quatre campagnes océanographiques par an. Il a une capacité de 22 scientifiques. Il a été conçu pour des recherches interdisciplinaires : évaluation des ressources halieutiques (campagnes de pêche scientifique démersale et pélagique), études d’océanographie physique et chimique (profilés hydrologiques, suivi du courant de Benguela, etc.), analyses de biologie marine (plankton, écosystèmes) et enfin géologie marine (cartographie des fonds), à partir de l’année prochaine.
Le scientifique en charge de la visite explique que les communautés benthiques et démersales sont échantillonnées à l’aide de filets déployés depuis le pont, puis les organismes capturés sont identifiés, comptés et analysés dans le cadre du suivi des stocks halieutiques. L’objectif futur est de valoriser les spécimens récoltés en les transformant en produits alimentaires destinés à la consommation humaine. Le navire est également en charge des missions de sauvetage.
Le RV Baía Farta rejoint une flotte océanographique africaine en cours de construction (comme le S.A. Agulhas II sous pavillon sudafricain de 134 mètres, le Charif Al Idrissi sous pavillon marocain de 41 mètres). Ce navire océanographique de 74 mètres est commandé par le gouvernement angolais en 2016. Le Ministère des Pêches et Ressources Marines de l’Angola en est le propriétaire. L’Institut National d’Investigation Pêche et Mer (INIPM) est responsable du navire et de ses campagnes. Le navire fait également l’objet de partenariats internationaux (avec la FAO, l’Institut Espagnol d’Océanographie…).
Conçu par la compagnie norvégienne Shipsteknisk, fabriqué en Roumanie par le constructeur hollandais Damen, il est armé en 2018. Après sa livraison en Angola en 2018, le Baía Farta a subi une longue phase d’essais et de réglages. Le navire a mené sa première campagne scientifique en mai 2021, interrompue afin de procéder à des calibrages et correctifs approfondis. Entre fin 2021 et 2024, le Baía Farta est resté à quai, indisponible pour la recherche, le temps de résoudre les problèmes techniques identifiés. Il a repris ses campagnes océanographiques à l’automne 2024. À partir du 1er octobre 2024, une grande campagne d’évaluation démersale a été menée sur l’ensemble de la côte centre et sud de l’Angola, d’une durée de 26 jours. L’équipe embarquée en 2024 comprenait 10 chercheurs de l’INIPM, 7 membres d’équipage angolais, ainsi que 10 experts expatriés invités, sous la direction de la spécialiste angolaise Maria Sebastião.
Les campagnes acoustiques pélagiques autrefois réalisées par le navire norvégien Dr. Fridtjof Nansen devraient désormais être reprises par le Baía Farta sur les zones côtières angolaises. En effet, depuis 1974 le navire de recherche norvégien Dr Fridtjof Nansen sert les pays partenaires du programme ZAF-Nasens « Soutenir l’application de l’approche écosystémique à la gestion des pêches compte tenu des impacts du climat et de la pollution ». Il appartient à l’Agence norvégienne pour la coopération au développement (Norad), opéré par l’Institut norvégien de recherche marine (IMR) en étroite consultation avec l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO). Dans ce contexte, l’enjeu pour l’équipe scientifique du Baía Farta est de parvenir à harmoniser la collecte de données du RV Bahia Farta avec les collectes norvégiennes.
Le gouvernement angolais est officiellement reconnu comme « knowledge partner » de la Green Zone de l’UNOC-3. Également appelée « La Baleine », cette zone d’exposition et de conférences, ouverte au public du 2 au 13 juin, constitue l’espace ouvert au public en marge de la conférence. Seuls les deux États co-organisateurs de l’UNOC-3 – la France et le Costa Rica – y disposent d’un pavillon national, qui fera l’objet d’un prochain billet.
Souhaitant marquer sa présence dans cet espace malgré l’absence de pavillon propre, l’Angola a néanmoins contribué financièrement au dispositif, en sponsorisant plusieurs installations. Cette participation s’inscrit dans une stratégie de visibilité diplomatique, à un moment où se placer dans la diplomatie océanique constitue un enjeu pour le pays : environ 50 % de son PIB provient du pétrole, extrait en grande majorité offshore.
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